Vers une nouvelle gouvernance coopérative ?

La Fédération avait adopté en 1997 une première charte de déontologie accompagnée d’un modèle de règlement intérieur pour le fonctionnement d’un conseil d’administration. Cette initiative trouvait sa source dans une volonté conjointe des familles du Mouvement HLM de clarifier un certain nombre de principes, mais également de faire face à un certain nombre de remises en cause. L’USH avait également adopté une charte du Mouvement HLM sur ce sujet.

A l’heure actuelle, un toilettage de ce texte est nécessaire. En effet, le droit des sociétés qui régit l’organisation de nos coopératives a évolué depuis 1997. Par exemple, la loi sur les nouvelles régulations économiques pose le principe de la dissociation entre le Président et le Directeur général. 70 % des conseils d’administration ont effectivement dissocié ces fonctions.

L’ordonnance de 2005 a fixé un certain nombre de règles de fonctionnement. La question du régime pénal des dirigeants a également évolué.

Les montages partenariaux public-privé sont devenus la règle dans le cadre du travail des organismes HLM. Ils impliquent un certain nombre de règles juridiques et introduisent un degré de complexité supplémentaire dans le fonctionnement des coopératives.

Les missions de révision coopérative ont pour leur part mis en évidence une insuffisante maîtrise des règles de déontologie, ainsi que des règles coopératives. Les seuls textes sur lesquels l’équipe fédérale pouvait s’appuyer n’étaient donc plus à jour et ne permettaient pas d’avoir un dialogue fructueux avec les conseils d’administration.
Nous nous sommes interrogés sur la mise à jour de ce texte et sur l’intégration en son sein de nouvelles exigences sociétales. La question du coopérateur-utilisateur méritait d’être mieux traitée, ainsi que celle des salariés. En effet, une coopérative sur quatre compte un salarié dans le sociétariat. La question de l’ouverture des conseils d’administration et des parties prenantes est également posée. Les révisions ont mis au jour un certain nombre de conseils d’administration fonctionnant correctement mais de façon endogamique.

Le développement de démarches RSE par les coopératives suscite l’émergence de nouvelles préoccupations qui pourraient être prises en compte dans les documents de la Fédération.

Le Conseil Fédéral s’est donc saisi de cette question à l’occasion d’un séminaire du Conseil Fédéral en septembre 2013. Un groupe de travail a été constitué et a permis d’élaborer le document qui vous a été adressé. Il s’agit d’une mise à jour de la charte de déontologie de 1997 et du règlement intérieur type. Ce deuxième document a été profondément modifié. Si vous les approuvez, ces documents permettront à la Fédération de mieux communiquer sur ces questions. En effet, nous souhaitons que chaque Conseil d’administration soit invité à délibérer d’ici un an sur le bien-fondé de ces règles.

Pour mieux diffuser ces préoccupations, nous avons procédé à une mise à jour du guide de l’administrateur de coopérative HLM. Je vous incite à le demander à votre Président ou Directeur général.

En tant que coopérative HLM, il est important d’intégrer dans notre mode de fonctionnement ces valeurs afin de les partager avec nos administrateurs, nos parties prenantes et nos salariés.

Les modifications de la charte de déontologie consistent en un certain nombre de mises à jour de concepts ayant évolué depuis 1997. La sécurisation est désormais prise en compte dans ses composantes rachat, revente et relogement.

Nous avons par ailleurs intégré la mention du régime des conventions réglementées lorsque le travail s’effectue dans une logique de groupe.

Les modifications du règlement intérieur sont plus approfondies puisque toutes les modifications institutionnelles et réglementaires ont été prises en compte. Il s’agit notamment de la clarification des missions du Président et du Directeur général. En effet, la version antérieure prévoyait que le Président soit le représentant légal de la coopérative. Désormais, grâce à la possibilité de dissociation de ces deux fonctions, le Directeur général dispose de fonctions clairement identifiées.

Nous avons également posé un certain nombre de jalons concernant l’ouverture des conseils d’administration aux nouvelles parties prenantes. Les coopératives qui disposent d’un patrimoine locatif se doivent d’avoir au moins un administrateur locataire. La plupart des coopératives dotées d’un patrimoine important observent cette règle. Nous incitions également les conseils d’administration à s’interroger sur la présence des accédants. Enfin, nous ouvrons également la question de la participation au capital des salariés.

Pour éclairer cette question, nous avons souhaité faire appel à deux grands témoins.

Jean-Louis BANCEL, Président du Crédit Coopératif et président du comité des principes de l’Alliance Coopérative Internationale.

Merci de m’avoir convié à votre Assemblée générale. Je suis le président du comité des principes du Conseil d’administration de l’Alliance coopérative internationale.

L’Alliance coopérative internationale est l’une des plus anciennes ONG du monde, née il y a 120 ans d’une volonté commune des coopérateurs français et anglais. L’un des premiers éléments constitutifs de cette volonté visait à définir les principes qui caractérisent une coopérative.

Nos principes coopératifs actuels ont 20 ans. Ils ont été adoptés au Congrès de Manchester en 1995 et sont au nombre de sept : adhésion volontaire et ouverte à tous, pouvoir démocratique des membres, participation économique des membres, autonomie et indépendance, éducation, information et formation, coopération entre les coopératives et engagement envers la communauté.

1995 était l’année internationale des coopératives décrétée par l’ONU. L’ONU a voulu mettre en valeur l’entreprise coopérative avec pour slogan : « Des entreprises qui agissent pour construire un monde meilleur ». Par ailleurs, la globalisation rend d’autant plus nécessaire la conscience : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
 
Le phénomène de mondialisation incite au prêche pour une bonne gouvernance au niveau des Etats et des institutions. En réalité, la mondialisation n’est qu’une autre forme d’entretien d’une certaine forme de guerre entre des modèles économiques et sociaux.

L’ONG que je représente n’a pas souhaité jouer le jeu de la mondialisation afin de ne pas être rendue uniforme et anonyme. Certains moments doivent être mis à profit pour mener une réflexion sur nos actions. Le discours de la mondialisation est soutenu par le discours promu par Madame Thatcher, résumé par l’acronyme TINA : « There is no alternative ». Les administrateurs indépendants sont, par exemple, devenus un mode de fonctionnement démutualisé.

Le concept d’administrateur indépendant a été introduit en France sous l’influence anglo-saxonne et a permis d’offrir des débouchés aux énarques sans emploi.

L’un des sujets principaux sur lequel travaille mon ONG est l’émergence de l’économie sociale de demain, illustrée par l’entreprenariat social, le financement participatif et la finance à impact social.

Le concept coopératif a disparu de l’univers mental américain. Par exemple, le président de l’ONG CARE a présenté lors d’une réunion le concept de « cooperative action » uniquement pour l’aspect positif de cette notion qui est, elle, vidée de sens à l’heure actuelle aux Etats-Unis.

Les problèmes de structures juridiques ne constituent pas le problème central dans une réflexion sur une bonne gouvernance. Il s’agit avant tout de prendre conscience que nos structures coopératives doivent être des outils de cheminement dans un monde complexe. C’est pourquoi je considère que le concept d’éducation, d’information et de formation est l’un des plus intéressants. La démarche coopérative doit rester un mouvement d’émancipation afin de sortir de l’idée de TINA. Une démarche coopérative, à travers le moment solennel de l’Assemblée générale, constitue une démarche de démocratie comme continuum par l’information, la formation et l’éducation.
 
Les cercles des conseils d’administration doivent être ouverts aux différentes parties prenantes car elles reflètent la réalité du monde. Dans le même temps, il convient de renforcer les efforts d’éducation, de formation et d’information. Cette démarche repose sur une logique de convergence des intérêts. Les logiques de double qualité doivent donc être privilégiées. L’ouverture au monde est primordiale.

Le septième principe, celui de l’engagement envers la communauté, a fait naître un débat autour de la problématique de l’environnement et du développement durable. Actuellement, certains acteurs défendant l’enracinement dans le territoire, ne sont pas pour autant opposés à la mondialisation. Rappelons par ailleurs que le mouvement coopératif s’est toujours inscrit dans une logique internationale.
 
La France est un grand pays coopératif qui s’ignore et s’inscrit dans un secteur du mouvement coopératif du logement significatif au plan mondial. L’un des messages que je souhaitais faire passer réside dans le fait qu’il m’apparaît important que la Fédération des coopératives HLM française puisse trouver pleinement sa place au sein de l’un des secteurs de l’Alliance coopérative internationale, celui du logement. En effet, les pays scandinaves et anglo-saxons sont actuellement en pointe sur ce sujet. Nous devons donc monter en puissance au niveau européen, notamment.

Nos formes juridiques doivent être enrichies : c’est pourquoi le statut de Scic est intéressant. Néanmoins, les formes juridiques actuelles apparaissent comme plus complexes que les formats historiques des coopératives de consommateurs.

Si l’on ne souhaite pas que le concept coopératif devienne une langue morte, nous devons nous réapproprier les valeurs coopératives grâce à un aggiornamento des valeurs coopératives. C’est la raison pour laquelle je souhaite vous inciter à regarder au-delà des frontières car c’est une démarche enrichissante. Si les réalités sociales et juridiques sont différentes, le monde peut nous apporter des idées et nous pouvons lui en apporter également.

Vincent LOURIER

Merci pour cet éclairage et l’interpellation sur les réseaux internationaux de coopération. Cette question s’est posée au niveau européen puisque la Fédération est partie prenante de structures européennes.

Nous avons souhaité également un point de vue plus local. Laura Winn est membre de l’Atelier, qui est le centre de ressources sur l’économie sociale en Ile-de-France. Cette structure est adossée au Conseil régional. Par ailleurs, elle est membre d’un collectif de militantes de l’économie sociale qui s’est constitué en 2010.

Laura WINN, membre du collectif « FemmESS »

« FemmESS »  a pour mission d’interpeller chaque acteur de l’économie sociale et solidaire et des pouvoirs politiques sur la place des femmes dans l’économie sociale et solidaire. Nous travaillons sur deux volets principaux : l’égalité professionnelle et la parité dans les instances.

Nous analysons les chiffres afin d’examiner les disparités au sein de l’économie sociale et solidaire. Nous nous efforçons également d’être force de proposition pour les organisations.

Le thème d’une gouvernance renouvelée incite à resituer la question des femmes dans un cadre plus large, celui d’une gouvernance nouvelle et ouverte dans l’économie sociale et solidaire. Cette gouvernance doit faire de la place à de nouvelles parties prenantes. Il n’est pas pertinent de dissocier la question des femmes de la question de la place des usagers et des salariés. Nous ne pouvons que nous enrichir en travaillant ensemble à la mise en place d’une biodiversité d’acteurs dans la gouvernance des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Il en va ici de leur pérennité économique puisque ce n’est qu’en impliquant toutes les parties de l’entreprise qu’il sera possible d’évoluer dans le monde complexe évoqué par Jean-Louis Bancel.

L’étape la plus importante au début consiste à sortir du déni. En effet, les notions d’égalité et de parité recueillent une approbation très large. Or, la réalité est différente. Nous avons eu le bonheur de travailler avec le ministre Benoît Hamon et travaillons actuellement avec Valérie Fourneyron sur les questions d’égalité professionnelle et le projet de loi en cours. Dans l’étude d’impact accompagnant ce dernier, il est affirmé que les femmes représentent 67 % des effectifs salariés dans l’économie sociale et solidaire. Cet argument est utilisé pour faire passer l’idée qu’une loi sur l’économie sociale et solidaire est forcément un outil au service des femmes. Or, des disparités importantes dans l’économie sociale et solidaire peuvent être plus marquées que dans le secteur privé, notamment en termes d’accès aux responsabilités et aux rémunérations au sein des effectifs salariés.

54 % de femmes sont actuellement cadres mais nous dénombrons 11 % de plus d’hommes que de femmes au sein des postes de cadres dirigeants. Parmi ces cadres dirigeants, 8 % d’hommes et 3 % de femmes sont en poste au sein de la direction générale. Ainsi, les disparités se creusent avec l’ascension des échelons.
La même problématique se pose avec la gouvernance : 69 % de présidents d’associations sont des hommes.
 
La bonne nouvelle réside dans le fait que le renouvellement de générations entraîne des évolutions sans mise en place de quotas. Ainsi, plus les associations sont jeunes, plus elles comportent de femmes présidentes.

L’enjeu consiste à remettre l’exemplarité de l’économie sociale et solidaire au cœur de notre projet. Pour cela, nous devons nous poser la question de l’égalité professionnelle et de la parité au sein de la gouvernance. Hier, un amendement a été adopté ; il demande au Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire de se pencher sur ces questions en établissant un rapport tous les trois ans sur l’égalité femmes/hommes.
La parité ne passe pas nécessairement pas la mise en place de quotas. Ces derniers peuvent constituer une démarche pertinente mais ne représentent pas la seule solution. Dans tous les cas, ce n’est pas celle-ci que nous mettons en avant.

L’ouverture des parties prenantes doit être centrale dans une réflexion sur la gouvernance. L’élargissement du cercle de la gouvernance entraîne une augmentation du nombre de femmes entrant dans le vivier de personnes à qui nous pouvons demander de participer aux fonctions de direction.

La question des représentants des personnes morales dans les conseils d’administration doit être interrogée. Nous devons donc travailler avec ces personnes morales tout en nous posant la question de la parité. Par exemple des outils de double candidature pourraient être mis en place. De même, il serait possible de proposer que la personne qui assiste réellement aux réunions d’un conseil d’administration soit titulaire du poste. La durée des mandats pourrait également être limitée. Ainsi, la fonction de président ne pourrait être exercée que durant deux mandats consécutifs.

Ces dispositifs permettent de travailler en bonne intelligence, sans nécessairement poser des principes pouvant entraver les travaux des instances dirigeantes.

Vincent LOURIER

Nous pouvons ouvrir la discussion sur le thème de la gouvernance.
 
Marie-Noëlle LIENEMANN

Nous avons évoqué la question de la parité au sein de notre Conseil fédéral. L’une de nos idées pour progresser sur le chemin de la parité consiste à accroître le nombre de membres de notre Conseil fédéral au niveau national. Dans ce cadre, des questeurs femmes pourraient être candidates au Conseil fédéral. Puis, la parité serait atteinte en plusieurs années sur la base du quota national.

Le travail de terrain est nécessairement plus complexe, notamment en termes de différences de rémunération et d’accès aux responsabilités. Pour cela, les directeurs de coopératives doivent nous communiquer leurs statistiques.

Nous devons donc nous demander comment envisager les promotions et quel est notre regard sur la promotion des femmes.

Enfin, un renouvellement régulier de nos coopérateurs au sein des Assemblées générales et des Conseils d’administration est nécessaire. Nous devons nous fixer des objectifs collectifs pour la Fédération et par coopérative.

De la salle

Nous avons le plus grand mal à trouver des administrateurs féminins car il est difficile d’avoir des volontaires.

La notion de quota me gêne car elle m’apparaît comme péjorative.

Laura WINN

Les termes ont également leur importance : nous devons parler d’administratrices et non d’administrateurs.

De la salle

Le représentant d’une personne morale peut-il être élu président d’une coopérative ?

Vincent LOURIER

Cela est impossible sur le plan juridique, sauf dans le cas où la personne morale représente la coopérative sur le plan personnel.

Marie-Noëlle LIENEMANN

Je me méfie de la cooptation naturelle. Nous devons en effet être en phase avec les attentes de la société. Il convient d’aller chercher les personnes compétentes que nous ne connaissons pas. Dans le cas contraire, nous passerons à côté de ces compétences et continuerons à fonctionner avec les mêmes personnes.

De la salle

Depuis quelques années, il existe au niveau de la Fédération le séminaire des présidents et des administrateurs. Le rôle de la formation est donc essentiel.

De la salle

Nous pouvons justifier de l’égalité parfaite hommes/femmes au sein de notre coopérative, y compris en termes de niveaux de rémunération. Cependant la question de l’âge ne doit pas être négligée au sein du Conseil d’administration.

De la salle

Je propose une solution imparable, consistant à interdire qu’un directeur devienne président.

Laura WINN

Notre programme accueille de nombreux jeunes. La durée des mandats constitue cependant un frein pour eux car elle est synonyme d’un investissement sur le long terme. Une durée de mandats plus courte pourrait constituer une solution.